Nouveaux symboles et informations masquées

Suite à un constat noti­fié par l’Agence Euro­péenne de Sécu­ri­té Aérienne lors d’un audit, la DGAC a entre­pris de réduire le nombre de dif­fé­rences entre sa régle­men­ta­tion natio­nale et les dis­po­si­tions de l’OACI en matière de car­to­gra­phie, notam­ment pour ce qui concerne les signes conventionnels.

Ain­si com­mence la cir­cu­laire d’in­for­ma­tion aéro­nau­tique A 04/19, publiée hier par la DGAC, qui indique que les sym­boles uti­li­sés sur les cartes aéro­nau­tiques vont être modi­fiés dès la pro­chaine édi­tion pour se mettre en confor­mi­té avec les normes de l’OACI.

La prin­ci­pale modi­fi­ca­tion porte sur les dif­fé­rents sym­boles clas­sant les aéro­dromes en fonc­tion de la lon­gueur de leur piste prin­ci­pale. Ils fusionnent, la lon­gueur étant désor­mais indi­quée dans les cartouches.

Cap­ture de l’AIC A 04/19

Cela impose une pre­mière réserve. Avec le sys­tème actuel, sur la carte au 1/500 000 cou­ram­ment uti­li­sée en navi­ga­tion, on voit immé­dia­te­ment quel ter­rain choi­sir ou non selon l’ap­pa­reil qu’on uti­lise. Avec le nou­veau sys­tème, il faut aller lire le détail du car­touche. C’est moins pra­tique et ins­tinc­tif ; ça n’est pas gênant en temps nor­mal (sur­tout qu’en avion léger, la lon­gueur des pistes est rare­ment un pro­blème), mais c’est une contrainte sup­plé­men­taire qui va com­pli­quer les déroutements.

Il fau­dra éga­le­ment voir com­ment sera inté­grée la fré­quence radio du ter­rain : elle est absente du car­touche d’exemple de l’OA­CI et, sur les cartes actuelles, elle se trouve à l’emplacement exact où va être ajou­tée la lon­gueur de la piste.

Cap­ture de l’ap­pen­dice 2 de l’an­nexe 4 de l’OACI

Bon point en revanche : l’adoption des normes OACI pour­rait faire appa­raître sur les car­touches l’é­clai­rage éven­tuel de la piste, une don­née essen­tielle pour le VFR de nuit, qu’il faut actuel­le­ment aller cher­cher dans les cartes VAC.

Le respect de la norme, vraiment ?

La DGAC invoque le res­pect des normes de l’OACI pour modi­fier les logos uti­li­sés. Mais en fait, les logos pré­sen­tés par l’AIC A 04/19 dif­fèrent sen­si­ble­ment de ceux pré­sents dans l’annexe 4 de la conven­tion de l’OACI.

Cap­ture de l’ap­pen­dice 2 de l’an­nexe 4 de l’OACI

Voi­ci les logos-types de l’OA­CI. Vous note­rez qu’au­cun ne porte d’in­di­ca­tion de l’o­rien­ta­tion de la piste. C’est pour­tant une infor­ma­tion pré­cieuse et tous les car­to­graphes sérieux — Car­ta­bos­sy, Air Mil­lion ou encore SDOACI — la donnent1. Est-ce à dire que l’OA­CI a un train de retard ?

Pas vrai­ment.

Cap­ture de l’ap­pen­dice 2 de l’an­nexe 4 de l’OACI

Elle per­met de rem­pla­cer le logo par… un sché­ma com­plet des pistes. Ceux qui ont voya­gé aux États-Unis recon­naî­tront aisé­ment la pré­sen­ta­tion des cartes Jep­pe­sen ou Sky­Vec­tor. Il ne s’a­git pas d’af­fi­cher la piste prin­ci­pale, mais l’en­semble de la plate-forme, et c’est en fait très lisible.

En fait de res­pec­ter la norme, la DGAC a donc choi­si une solu­tion bâtarde, qui ne res­pecte pas la norme de base (qui ne pré­voit d’in­di­ca­tion ni de l’o­rien­ta­tion ni des ter­rains pri­vés), mais ne res­pecte pas mieux la variante pro­po­sée. Comble de l’amusement : sur les deux logos uti­li­sés jus­qu’i­ci, c’est le « plein » qui a été rete­nu, c’est-à-dire jus­te­ment celui qui res­semble le moins au logo de réfé­rence de l’OACI !

Question de lisibilité

Au pas­sage, les ter­rains désaf­fec­tés, jadis indi­qués par les mêmes logos que les ter­rains actifs, mais bar­rés et impri­més en rouge, changent de sym­bole. Rien de dra­ma­tique en soi, mais leur nou­veau logo sera impri­mé en noir, ce qui risque de nuire à leur visi­bi­li­té. Or, ils font d’ex­cel­lents repères et le fait qu’ils soient notés dans une cou­leur tran­chante sur la carte per­met d’é­vi­ter de les confondre avec un ter­rain actif et de s’y poser par distraction.

Extrait de la carte IGN OACI 1/500 000 sud-ouest, édi­tion 2018

Pour prendre mon expé­rience per­son­nelle, la pre­mière fois où je suis allé à Égle­tons, je volais dans un sec­teur que je ne connais­sais pas et cher­chais un ter­rain orien­té nord-est/­sud-ouest à droite de l’au­to­route au nord du Tulle. J’au­rais tout à faire pu me poser à Eyrein ; sauf que son gros logo rouge sur la carte, bien évident, a atti­ré mon atten­tion sur la confu­sion pos­sible. La croix noire du nou­veau logo sera bien moins visible, ren­dant plus impor­tant un sui­vi rigou­reux de la navi­ga­tion pour évi­ter toute confusion.

Les altiports, un manque essentiel

Mais il y a plus gênant : les ter­rains res­treints ou pri­vés et les alti­ports. Sur les cartes actuelles, les points autour du sym­bole d’aé­ro­drome indiquent s’il est ouvert à la cir­cu­la­tion aérienne publique ou res­treint (réser­vé aux aéro­nefs qui y sont basés et aux uti­li­sa­teurs expli­ci­te­ment auto­ri­sés). À l’avenir, ils indi­que­ront prin­ci­pa­le­ment s’il est civil ou militaire.

Cap­ture de l’AIC A 04/19

Quelle impor­tance pour le pilote de savoir si un aéro­drome est uti­li­sé par l’armée ? Très faible, sans doute. En revanche, savoir s’il peut y aller sans se poser de ques­tions ou s’il doit deman­der une auto­ri­sa­tion et/ou rem­plir des condi­tions spé­ci­fiques, c’est important.

Si l’on prend l’AIC A 04/19 à la lettre, il semble qu’il fau­dra consul­ter la carte VAC de chaque ter­rain pour véri­fier s’il est ouvert à la CAP ou pas. À moins, la pré­ci­sion manque, que tous les ter­rains res­treints uti­lisent le logo OACI “aéro­drome de secours ou non pour­vu d’installations”, un simple cercle — mais ce serait illo­gique pour les nom­breux ter­rains res­treints bien équi­pés et uti­li­sés au quo­ti­dien qui par­sèment notre pays.

Cap­ture de l’AIC A 04/19

Et sur­tout, les indi­ca­tions d’al­ti­ports dis­pa­raissent. Or, elles sont importantes.

Cette fois, il ne s’agit pas juste de savoir si le pilote a léga­le­ment le droit d’utiliser un aéro­drome : dis­tin­guer les alti­ports, c’est une vraie ques­tion de sécurité.

Pre­nons un cas pra­tique. Nous sommes à Mont-Dau­phin et sou­hai­tons aller à Gre­noble. Tenant compte des capa­ci­tés de notre avion, de l’absence d’oxy­gène à bord et du parc natu­rel sur la route, nous remon­tons la Durance et la Gui­sane avant de sau­ter le col du Lau­ta­ret pour suivre la Romanche. La météo au Ver­soud indique des brumes mati­nales qui doivent se dis­si­per rapi­de­ment, per­met­tant de voler en toute sérénité.

Mais voi­là : en contour­nant la Croix de Cham­rousse par le sud, nous consta­tons que les brumes ne se sont pas du tout dis­si­pées, inter­di­sant tout atter­ris­sage au Ver­soud. Où allons-nous nous dérouter ?

Disons qu’il nous reste une ving­taine de minutes avant d’atteindre le mini­mum légal de car­bu­rant, ce qui per­met de faire 25 nau­tiques plus le cir­cuit d’aé­ro­drome. L’Alpe-d’Huez est à 9 nau­tiques, Mont­meilleur à 20, St-Rémy à 23 (sans comp­ter le contour­ne­ment de la mon­tagne du Puy Gris), St-Jean-en-Royans à 24.

Navi­ga­tion tra­cée sur la carte IGN OACI sud-est au 1/500 000, édi­tion 2018

Pre­nons la carte 2018. En cinq secondes, nous savons que St-Jean et St-Rémy sont res­treints, que Mont­meilleur est pri­vé, et que l’Alpe-d’Huez est un alti­port. Quel ter­rain choi­sir ? Sans doute un des res­treints ou pri­vés. Il est tou­jours pos­sible de s’arranger avec le pro­prié­taire et la pré­fec­ture une fois posé ; c’est en tout cas bien moins ris­qué que d’im­pro­vi­ser un atter­ris­sage sur un ter­rain mon­tant à 15 %, sans jamais l’a­voir fait, sous le stress d’une situa­tion anormale.

Sur carte 2019, en revanche, tous ces ter­rains seront mar­qués de la même manière (sauf Mont­meilleur, qui aura le P entou­ré des pistes privées).

L’Alpe‑d’Huez étant clai­re­ment le plus proche, un pilote ne connais­sant pas la région s’y ren­dra natu­rel­le­ment. Lorsqu’il l’atteindra, une dizaine de minutes se seront écou­lées et il n’aura plus l’au­to­no­mie pour atteindre un autre aéro­drome. Avec de la chance, il par­vien­dra à s’y poser dans la plus totale infrac­tion, mais c’est là un scé­na­rio très opti­miste : l’Alpe‑d’Huez n’est pas un ter­rain que l’on peut décou­vrir de manière impromp­tue en toute sécurité.

Bien enten­du, un pilote conscien­cieux aura véri­fié à l’a­vance les condi­tions d’ac­cès à tous les ter­rains de dérou­te­ment pos­sibles, pour ne pas se retrou­ver dans la situa­tion de Tomas Kas­te­lic, pour­sui­vi en 2010 après avoir atter­ri à Cour­che­vel sans qua­li­fi­ca­tion mon­tagne parce qu’il avait ren­con­tré du givrage en vol. Et il aura pris quelques litres de plus pour rejoindre Cham­bé­ry, Gre­noble-Alpes-Isère (ex St-Geoirs) ou Gap, qui sont mieux équi­pés et plus à même de l’assister.

Mais puisque la DGAC a créé un logo, non pré­vu par l’OACI, pour indi­quer les ter­rains pri­vés, qu’est-ce que ça lui coû­te­rait d’en faire un (un A dans un sym­bole d’aé­ro­drome par exemple) pour indi­quer les altiports ?

Cela pour­rait, le jour venu, sau­ver la vie d’un pilote qui aurait ten­dance à sur­vo­ler la pré­pa­ra­tion de ses déroutements…

  1. Au pas­sage, cer­tains en pro­fitent pour faire un trait vert ou blanc selon que la piste est en herbe ou en dur, ce qui ne man­que­ra pas d’in­té­res­ser les pilotes à la sor­tie d’une période pluvieuse…